Le coeur et la respiration
La cohérence cardiaque peut-elle améliorer la santé?
Pr Dominique Baudon | 22 Octobre 2024
Les techniques de cohérence cardiaque s’appuient sur des exercices respiratoires afin de synchroniser les rythmes cardiaque et respiratoire, dans l’espoir d’améliorer la santé physique et mentale. Sur quelles preuves scientifiques cela repose-t-il ?
Arythmie sinusale respiratoire et cohérence cardiaque
Dans l’organisme, les fonctions respiratoires et cardiaques sont liées : la fréquence cardiaque (FC) augmente pendant l’inspiration et diminue pendant l’expiration. Ce phénomène est appelé « arythmie sinusale respiratoire » (ASR), ou heart rate variability). L’amplitude de l’ASR est mesurée par la différence entre le rythme cardiaque, maximum pendant l’inspiration et minimum pendant l’expiration. Par exemple, si le rythme cardiaque est de 70 battements/minute (bpm) pendant l’inspiration, et de 60 bpm pendant l’expiration, l’amplitude de l’ASR est de 10 bpm.
La « cohérence cardiaque » (ou « résonance cardiaque ») est une technique de respiration sensée améliorer la variabilité de la fréquence cardiaque en agissant sur l’ASR, en augmentant son amplitude. Cette pratique de respiration avait été pour la première fois évoquée auprès du grand public en France par le Dr David Servan-Schreiber en 2003 dans son livre « Guérir ».
La cohérence cardiaque est en fait un concept large qui regroupe des pratiques diverses. Le point commun des techniques proposées est de s’appuyer sur des exercices de respiration pour mettre en phase le rythme du cœur et celui de la respiration ; elles se veulent améliorer la santé physique et mentale.
Pour le public, le contrôle de la respiration est bien connu à travers le yoga où il joue un rôle fondamental ; appelé « pranayama », il est considéré comme un moyen de réguler l’énergie vitale (prana) et d’harmoniser le corps et l’esprit.
Ces dernières années, la pratique de ces techniques de respiration dans l’espoir d’améliorer sa santé physique et mentale est de plus en plus répandue dans la population. Cela est certes lié au développement en occident de la pratique du yoga, mais aussi à la publicité faite sur ces techniques dans des magazines grand public, sur des sites web et applications pour smartphones (séances de biofeedback) délivrant des messages pour favoriser le bien-être et la santé, cela à des fins le plus souvent commerciales. Aujourd’hui, les stratégies de respiration profonde sont couramment proposées et recommandées par des cliniciens.
Efficacité de la cohérence cardiaque
Une amplitude élevée d’ASR serait associée à un bon fonctionnement physiologique et psychologique, tandis qu’une amplitude d'ASR réduite serait observée lors de troubles cardiovasculaires (hypertension, insuffisance cardiaque chronique), mentaux (anxiété, dépression, schizophrénie, troubles du spectre autistique), ou d’autres maladies (dont l’obésité et le diabète). Toutefois, les fondements scientifiques d’une telle assertion ne sont pas toujours clairs et compris, voire inexistants, et les bénéfices de ces techniques, même s’ils existent, sont parfois exagérés.
Un dossier très complet sur ce sujet a été publié par l’Inserm, l’un à travers son « Canal Détox » sur le thème « La cohérence cardiaque, une technique pour améliorer sa santé, vraiment ? » (1), et l’autre dans le dossier du mois de septembre 2023 de la Lettre d’information du réseau Sentinelles, « La cohérence cardiaque : nouvelle mode commerciale ou réel outil thérapeutique ?» (2).
Lien entre respiration et fréquence cardiaque : ce que l’on sait
A l’état normal, la FC varie parfois de façon intense (choc émotionnel, effort physique…) et irrégulière car elle s’adapte à un environnement changeant. La régulation de la FC dépend de mécanismes nerveux (systèmes sympathique et parasympathique), chimique (actions des hormones et modifications ioniques), et mécanique. L'inspiration entraîne une levée temporaire de l'influence parasympathique sur la FC, provoquant une accélération du rythme cardiaque.
Ce domaine de recherche est aujourd’hui largement exploré ; on dénombre près de 2000 essais cliniques étudiant la variabilité de la FC, enregistrés sur le site « clinicaltrials.gov. »
Une méta-analyse effectuée en 2022, ayant inclus 223 articles, s’était intéressée aux effets d’une respiration volontaire lente (d’environ 6 cycles par minute) sur la FC. Elle a montré une augmentation de la variabilité de la FC pendant la phase de respiration lente, d’autant plus persistante au décours que les sessions étaient répétées. Elle concluait que «…les exercices de respiration volontaire lente pourraient être conseillés comme une technique low-tech et peu coûteuse, en prévention et complément d’autres interventions, avec peu d’effets indésirables attendus ».
L’effet de la cohérence cardiaque a été étudié dans un grand nombre de pathologies, en particulier dans la prise en charge de la douleur et les troubles psychiatriques. Ces études suggèrent un effet bénéfique sur les manifestations psychiques et physique de l’anxiété et du stress. Néanmoins, « la plupart des études sont de mauvaise qualité méthodologique : petits effectifs, absence de groupe contrôle, description incomplète du protocole de respiration... Il est donc difficile de conclure avec confiance à un bénéfice cliniquement significatif de la technique ».
Les effets de la cohérence cardiaque sur le stress et la performance physique et mentale ont aussi été étudiés chez des sujets en bonne santé. La plupart concluent à des effets favorables mais « elles sont également limitées par la taille de leur échantillon et certaines études n’ont pas mis en place de groupe témoin. La multiplicité des protocoles mis en place, …, le fait que les critères de jugement soient fréquemment subjectifs et évalués sans double-aveugle, ainsi que l’absence dans de nombreuses études d’évaluation des effets à moyen et long terme rendent toute conclusion difficile ».
« Prétexter par exemple pouvoir guérir de nombreux maux – de la dépression à l’addiction en passant par le stress post-traumatique – grâce à des exercices de respiration, sans tenir compte de l’état actuel des connaissances encore limité et sans proposer d’autres prises en charges thérapeutiques, est une porte ouverte à des dérives ».
A noter que les études publiées sur la cohérence cardiaque sont souvent sponsorisées par les entreprises qui commercialisent des logiciels et applications de biofeedback ; leurs conclusions doivent donc être interprétées avec précaution du fait de liens d’intérêt.
Existe-t-il un protocole idéal de cohérence cardiaque ?
Il n’existe pas de consensus concernant le protocole idéal de cohérence cardiaque. Une revue de la littérature de 2023 s’est intéressée aux protocoles appliqués dans 143 études. Les chercheurs ont globalement distingué trois approches : (i) les protocoles de « fréquence respiratoire [FR] optimale », pour lesquels chaque participant respire selon sa propre FR optimale déterminée lors d’une session préalable, où le sujet respire selon différents rythmes ; (ii) les protocoles de « fréquence respiratoire individuelle » où chaque participant consulte en temps réel un appareil de biofeedback qui lui indique sa FC, ce qui lui permet de trouver lui-même sa FR optimale au cours de l’intervention ; (iii) les protocoles de « rythme prédéterminé de FR », où tous les participants respirent à la même fréquence, habituellement 6 respirations par minute (3, 4).
La méthode la plus répandue actuellement est la méthode « 3.6.5 » qui consiste à effectuer, 3 fois par jour, 6 respirations par minute, les deux temps inspiratoire et respiratoire étant égaux à 5 secondes, cela pendant pendant 5 minutes.
Conclusions de l’Inserm
« Il est possible de moduler l’ASR avec des techniques respiratoires… Les exercices de cohérence cardiaque semblent avoir un effet bénéfique sur le stress et l’anxiété, comme beaucoup d’autres techniques respiratoires, et sans certitude que cet effet soit médié par la modification de l’ASR ».
« Les études évaluant les exercices de cohérence cardiaque dans des situations associées à une diminution de l’ASR, notamment dans les maladies cardiovasculaires, sont très préliminaires. Cependant, les exercices de cohérence cardiaque sont vraisemblablement dépourvus de risque et ne coutent que le temps qu’on y consacre. Il n’y a donc probablement pas lieu de décourager les patients intéressés mais bien souligner que ces exercices ne doivent pas se substituer aux interventions dont le bénéfice est bien étayé par la recherche clinique. » (1, 2).
References
[1] Inserm, Calan Detox- La cohérence cardiaque, une technique pour améliorer sa santé, vraiment ? Communiqué de presse, 24 mai 2023. https://presse.inserm.fr/canal-detox/la-coherence-cardiaque-une-technique-pour-ameliorer-sa-sante-vraiment/
[2] La cohérence cardiaque : nouvelle mode commerciale ou réel outil thérapeutique ? Marion DEBIN Épidémiologiste au réseau Sentinelles. Lettre d’information du réseau Sentinelles-Septembre 2023. Dossier du mois, 8 pages. https://www.sentiweb.fr/6006.pdf
[3] Bouny P, Arsac LM, Guérin A, et al. Guiding Breathing at the Resonance Frequency with Haptic Sensors Potentiates Cardiac Coherence. Sensors (Basel). 2023 May 5;23(9):4494. doi: 10.3390/s23094494
[4] Lalanza JF, Lorente S, Bullich R, et al. Methods for Heart Rate Variability Biofeedback (HRVB): A Systematic Review and Guidelines. Appl Psychophysiol Biofeedback. 2023 Sep;48(3):275-297. doi: 10.1007/s10484-023-09582-6.
Date de dernière mise à jour : 24/10/2024
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