EUTHANASIE
Dans le Journal International de Médecine du 2 janvier 2025
Euthanasie : un éclairage belge sur « l’hypocrisie et l’incohérence »
02 Janvier 2025
BRUXELLES – Bien que la Belgique ait adopté une loi encadrant l’euthanasie il y a 23 ans, le sujet continue à être l’objet de réflexions nourries au sein de la communauté médicale belge, tandis que la législation a en outre régulièrement évolué. Les derniers débats ont concerné notamment les sanctions dont sont passibles les médecins ne respectant pas le protocole et les demandes d’euthanasie de patients souffrants de démence. C’est dans ce contexte que nos confrères belges du site Mediquality (qui comme le JIM appartient au groupe Medscape) ont interrogé en mars dernier le Dr Thomas Orban, qui a livré un témoignage éclairant sur les pratiques belges qui ne manquera pas d’intéresser les praticiens français alors que ce sujet pourrait être de nouveau discuté dans l’hémicycle cette année.
Mediquality - Un des principaux critères de la loi actuelle est que la demande d'euthanasie doit être « volontaire, réfléchie et répétée, sans pression extérieure ». Est-ce toujours facile de s'en assurer ?
Dr Thomas Orban: Non, ce n'est pas facile. C'est là que s'exprime toute la subtilité de la loi. Par exemple, il n'est pas toujours évident de déterminer si la demande est vraiment réfléchie, quand on sait qu'elle est souvent prise dans une situation d'immense douleur. Et je trouve que c'est une bonne chose que la loi laisse de la place à l'intelligence humaine pour pouvoir faire preuve de discernement. Si on devenait des exécutants robotiques d'un texte, ça serait compliqué. En revanche, je constate aussi que cette loi permet à chaque médecin d'agir en fonction de sa sensibilité personnelle. Je vois des médecins « pro-euthanasie » qui acceptent toutes les demandes et des médecins « anti-euthanasie » qui les refusent systématiquement. Bien sûr, beaucoup de confrères ne s'inscrivent pas dans une de ces deux logiques. Mais concernant les autres, je juge que c'est problématique dans les deux cas. Il y a par exemple un médecin, dont je ne citerai pas le nom mais qui se reconnaîtra, qui a récemment refusé une demande car le patient n'avait pas explicitement dit le terme « euthanasie » alors que c'est clairement ce qu'il souhaitait. Et ce refus a d'ailleurs probablement bien arrangé l'hôpital où il exerce…
Mediquality - La loi prévoit aussi que le médecin qui reçoit une demande d'euthanasie doit consulter un confrère indépendant. Si ce dernier donne un avis négatif, le premier médecin n'est pas obligé de le suivre et peut en chercher un autre qui confortera son avis positif. Qu'en pensez-vous ?
Dr Thomas Orban - Je ne trouve pas ça normal du tout. Si, en âme et conscience, vous demandez un avis à un confrère que vous estimez et que celui-ci rend un avis négatif, c'est un feu orange. Si on en fait fi et qu'on demande un autre avis, cela devient un troisième avis. Or, la loi ne prévoit pas, que je sache, de demander un troisième avis (sauf dans le cas où le décès n'est pas prévu à brève échéance, ndlr). En soi, je ne suis pas opposé à cette façon de faire. Mais il faut être transparent. Or, ce n'est pas toujours le cas, car dans le dossier qui sera remis à la CFCEE, le premier médecin pourrait ne pas mentionner l'avis négatif et ainsi transformer le troisième avis en second. A mes yeux, cela relève quasiment du faux en écriture, tout en n'étant pas déontologique. C'est une autre dérive de cette loi : certains trouvent ça normal, moi pas du tout. Cela montre à nouveau que les « pro-euthanasie » peuvent tout faire pour arriver à leurs fins. Ils font semblant de l'ignorer et ça me dérange fortement.
Mediquality - On vous sent particulièrement excédé par la situation. Vous-même, vous continuez à pratiquer l'euthanasie ?
Dr Thomas Orban - Oui, mais certains confrères ne veulent plus du tout en faire et je ne suis pas loin de les rejoindre. C'est une procédure fastidieuse et ingrate. Les discussions avec le patient et la famille, la préparation de l'acte, sa réalisation : cela demande beaucoup d'investissement et de temps.
Mediquality - Y a-t-il d'autres problèmes qui rendent la procédure encore plus complexe ?
Dr Thomas Orban - Oui, il y a aussi des ruptures de stock des produits recommandés pour l'euthanasie. A ce moment-là, on doit trouver des produits de substitution, contacter des anesthésistes pour leur demander si ça fonctionnera et selon quel schéma… Utiliser un produit qu'on ne connait pas bien, c'est stressant. Et ensuite, on croise les doigts, car il arrive que ça ne fonctionne pas et qu'on doive réinjecter un patient en train de mourir. Je vous laisse imaginer la scène…
Mediquality - On vous répondra qu'il existe des listes de médecins prêts à pratiquer l'euthanasie à votre place.
Dr Thomas Orban - Oui, il y a la fameuse liste EOL. J'y ai d'ailleurs déjà fait appel à plusieurs reprises et mes expériences n'ont pas été très heureuses… Un jour, un praticien est arrivé avec beaucoup de retard au rendez-vous, me laissant patienter dans une situation particulièrement délicate avec mon patient et ses proches. Une autre fois, le médecin a recontacté ma patiente plusieurs semaines après l'appel : elle est décédée entre temps. Ce n'est donc pas une liste à laquelle on peut toujours se fier. Ces situations, le manque de médicaments, les injections qui ne fonctionnent pas : autant d'éléments qui illustrent le gouffre entre l'idéal des prosélytes de l'euthanasie, tels que Jacqueline Herremans, et la réalité. Ces hommes et femmes de toge se contentent de parler et d'écrire des textes. Ils ne comprennent pas ce que vivent les médecins de terrain. Et ils s'en moquent.
Mediquality - La loi évolue, avec une gradation des peines pour les médecins qui n'ont pas suivi correctement le protocole légal plutôt que de systématiquement risquer d'être condamnés pour meurtre par empoisonnement. Cela vous rassure-t-il ?
Dr Thomas Orban - Non, car il y a toujours le risque d'être jugé devant une cour d'assises. Honnêtement, ça me fout la trouille. Je suis à la merci d'un conseil de « sages », composé de « pro » et d' « anti », susceptibles de me dire : « Vous vous êtes trompé ». Tout ça me donne juste envie de refuser toutes les demandes. Pourquoi jouerais-je ma vie professionnelle et familiale en fonction du bon vouloir de ce comité ? L'évolution de la loi n'est certainement pas suffisante. Le système actuel est d'ailleurs déjà fameusement hypocrite. Car si je refuse de pratiquer une euthanasie, je dois trouver un confrère prêt à la faire à ma place. Or, ils sont en réalité très peu à dire oui à tout, car ils savent qu'ils ne cesseraient d'être appelés pour ça.
Mediquality - La semaine dernière, le CD&V s'est dit ouvert à la possibilité d'autoriser les patients souffrant de démence à un stade avancé à faire une demande d'euthanasie, rejoignant une demande relancée par l' Open Vld quelques jours plus tôt. Y êtes-vous favorable ?
Dr Thomas Orban - Non, je veux respecter l'esprit de la loi actuelle. Si le patient a rempli une déclaration anticipée et qu'il est effectivement un jour atteint d'une démence irrécupérable lui occasionnant des souffrances à sa famille et à lui, je n'ai aucun problème avec le fait qu'il soit euthanasié. Mais s'il n'y a pas eu de demande anticipée, pour moi, ça doit toujours rester non. Ce n'est évidemment pas très heureux pour le patient, mais c'est comme ça. Sinon, ça voudrait dire que la société deviendrait la gérante de la vie d'un autre.
Mediquality - Que la loi puisse être modifiée dans ce sens vous inquiète ?
Dr Thomas Orban - Cela fait longtemps que je ne suis plus inquiet par les annonces des politiques, car je n'ai plus beaucoup d'attente vis-à-vis d'eux. Je ne m'inquiète donc plus des bêtises qu'ils peuvent raconter. Par contre, le jour où ça arrivera, ce sera aussi le jour où on dira aux médecins qu'ils ne peuvent plus refuser de pratiquer une euthanasie.
Mediquality - Vous pensez vraiment que cela arrivera un jour ?
Dr Thomas Orban - Oui, c'est la tournure que ça peut prendre. Ce sont des choses qui ont déjà été entendues. Mais de quel droit peut-on nous imposer cela à nous, médecins de terrain ? Nous devons pouvoir conserver ce droit de refuser d'euthanasier dans certains cas, pour des raisons qui nous sont propres. Nous l'imposer, c'est de la violence. Et je peux vous assurer que le jour où ça arrivera, certains médecin arrêteront la médecine.
Mediquality - Vous estimez donc que les médecins ne sont pas suffisamment écoutés.
Dr Thomas Orban - Depuis plus de vingt ans et le début des discussions autour de la loi sur la dépénalisation de l'euthanasie, il y a un délire autour de la liberté du patient. Celle-ci serait au-dessus de tout. La liberté du médecin n'est jamais évoquée… car elle pourrait empiéter sur celle du patient. Les médecins doivent se taire et faire ce qu'on leur dit. Et tant pis pour ce qu'ils peuvent endurer. Car, rappelons-le, il n'y a pas de programme d'accompagnement pour les médecins qui vivent mal une euthanasie. C'est ce manque de cohérence qui me hérisse. Je n'ai aucun problème à être bienveillant, mais il ne faut jamais être dogmatique. Une euthanasie, cela nécessite une harmonie entre plusieurs êtres humains, dont le médecin. Si la relation est déséquilibrée, ça pose des problèmes. Les acharnés de l'euthanasie font un déni là-dessus. Pour moi, c'est de la malhonnêteté intellectuelle.
* Opinion de Jacqueline Herremans : Vers la réforme de la loi euthanasie: une bonne nouvelle ?
Cet article a été initialement publié sur le site de Mediquality qui comme le JIM fait partie du groupe Medscape
Date de dernière mise à jour : 02/01/2025
Ajouter un commentaire