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ACTU - article l'ECHO 23 août 24

Formation fédérale: voici ce qui était sur la table avant l'échec des négociations

23 août 2024 21:33

La lecture des tableaux et des chiffres montre à quel point les cinq partis de l’Arizona avaient déjà abordé en profondeur la façon de réaliser l’effort d’assainissement de 27,5 milliards d’euros demandé par l’Europe.

Avec la brutale sortie de route de l’Arizona, il semble hautement improbable que la Belgique puisse remettre pour le 20 septembre aux instances européennes son plan d’assainissement budgétaire. Le travail chiffré était pourtant bien avancé, comme en attestent les tableaux de Bart De Wever que nous avons pu consulter.

Les effets retour ont été chiffrés à 19,5 milliards d'euros.

Budget

En résumé, on y trouve 13 milliards d’euros d’économies, 11 milliards de nouvelles politiques ainsi que 19 milliards d’effets retour.

On parle d’une opération totale de 39 milliards d’euros sur l’ensemble de la législature (jusqu’en 2029). Ce montant comprend les 27,5 milliards d’euros d’assainissement demandé par l’Europe, auxquels on ajoute neuf milliards pour la réforme fiscale, deux milliards pour remettre notre défense à niveau (compte tenu de la menace russe), 500 millions pour les services de sécurité et 200 millions pour les CPAS (qui devront encaisser la limitation des allocations de chômage dans le temps).

Pour financer l’opération, l’Arizona table sur 50% d’effets retour, soit 19,5 milliards d’euros. Certaines mesures sont en effet susceptibles de générer des effets retour. On pense par exemple aux baisses de charges sur le travail, à la limitation des allocations de chômage dans le temps, ou encore à une prise en main du phénomène des malades de longue durée.

Ce sont des calculs qui comportent une part d’incertitude, l’économie belge étant tributaire du contexte international. Le formateur avait toutefois prévu certains garde-fous: si une réforme ne produit pas les effets retour escomptés, on prendrait de nouvelles mesures dans ce domaine précis sans recourir à de nouveaux impôts.

Voilà pour les 19,5 milliards d’effets retour. Ne reste plus qu’à compenser les 19,5 milliards restants. Le gros de l'effort se situe au niveau de la réforme fiscale, où l’Arizona prévoyait six milliards d’euros de mesures visant à compenser les neuf milliards de baisses de charges. Ces six milliards comprennent 2,1 milliards de hausses de la TVA et accises, 1,8 milliard pour la suppression de certaines niches fiscales, ou encore 1,4 milliard d’imposition du capital, dont la fameuse taxe sur les plus-values.

Reste donc 13 milliards d'économies "nettes" qui portent sur des domaines variés. Ainsi, un effort substantiel de 1,8 milliard serait demandé au secteur public, dont 500 millions de la part des syndicats et des mutuelles (en gelant leur dotation). On y trouve aussi la réduction des cabinets ministériels, la limitation de la dotation royale ou encore la suppression du Sénat. Par contre, il n’y a pas eu d’accord sur l’idée du MR et de la N-VA de retirer aux syndicats le versement des allocations de chômageI.

Il est aussi question de mettre les entités fédérées à contribution en leur demandant d’assumer pour moitié certaines compétences dites "usurpées", qui ne devraient pas être prises en charge par le fédéral, comme la coopération au développement ou la politique scientifique.Il est prévu aussi de mettre de l’ordre dans les pensions, avec l’idée d’économiser deux milliards d’euros. Il est question d’harmoniser les régimes de pension, de supprimer certains régimes préférentiels et de rationaliser les périodes assimilées.

 

En matière de dépenses de santé, on irait vers une norme de croissance de 3% (contre 2,5% actuellement).

Enfin, un tour de vis en matière de politique migratoire devrait permettre de récupérer 1,5 milliard d’euros, notamment par une réduction des capacités d’accueil et par une politique plus efficace de retour au pays des candidats à l’asile déboutés.

Fiscalité

Salaire

Afin d'augmenter le salaire net des travailleurs, la quotité exemptée d'impôt est relevée et la cotisation spéciale de sécurité sociale est supprimée. Les tranches d'imposition sont revues afin de rendre l'impôt plus progressif.

Patrimoine et investissements

La dernière version de la taxe sur la plus-value d'actifs financiers prévoit un prélèvement de 10%, sans rétroactivité et avec une exonération des plus-values historiques à partir de la date d'entrée en vigueur de la taxe. La taxe boursière et la taxe sur les comptes-titres sont déductibles du montant de la plus-value. Une exonération de 6.000 euros permet d'exclure les petits investisseurs du champ d'application de la taxe. Les moins-values sont déductibles.

Pour protéger les petites entreprises, la vente de participations substantielles
( plus de 5%) dans des sociétés par l'entrepreneur actionnaire historique et actif est exonéré jusqu'à un montant de cinq millions d'euros (contre 2,5 millions actuellement). Cette dernière mouture "allégée" de la taxe sur la plus-value a provoqué le blocage du MR, car elle ne s'accompagne pas d'une réduction du taux du précompte mobilier, maintenu à 30%.

Concernant la taxe compte-titre, un effort temporaire est demandé aux "épaules les plus solides", c'est pourquoi le taux passe à 0,30% (contre 0,15% actuellement) en 2025 et 2026, avant de redescendre à 0,25% en 2027 et 2028 et de retrouver son niveau actuel en 2029. En revanche, il n'est plus question dans cette note d'étendre le champ d'application de cette taxe, qui pour rappel, vise tous les comptes-titres dont la valeur est supérieure à un million d'euros. Une extension aux actions nominatives avait été évoquée. Mais la taxe s'appliquerait désormais par bénéficiaire.

À noter aussi que la taxe sur les transactions boursières est supprimée pour tous les
small et mid caps et les nouvelles introductions en bourse ne sont pas soumises à la taxe boursière pendant cinq ans.

Il est toujours prévu que la première tranche des revenus du capital soit exonérée de précompte mobilier, quelle que soit la forme de l'investissement. Le compte d'épargne réglementé, dont les intérêts sont actuellement exonérés jusqu'à 1.020 euros, perdrait donc son exception fiscale vu que l'exonération concernerait toutes les formes d'investissement.

 

Le principe général de l’interdiction du travail du dimanche, du travail de nuit et les jours fériés est supprimée.

Financer le système social par le travail

D’après la dernière version de la note rédigée par Bart De Wever, le coût des prestations sociales passera de 161 milliards d’euros en 2024 à 198 milliards en 2029, soit une augmentation de 23%.  Une des options envisagées pour assurer cette hausse des coûts porte sur la (re) mise à l’emploi des Belges. L’idée des négociateurs est de passer d’un taux d’emploi de 72,1% à 80% d’ici 2029 en Belgique.

L’une des mesures phares pour arriver à atteindre cet objectif vise à mieux rémunérer le travail, notamment en augmentant d’au moins 500 euros la différence entre le travail et l’inactivité. La note ne dit pas grand-chose du financement de cette mesure, mais on comprend que les entités fédérées seront mises à contribution. "En responsabilisant financièrement les entités fédérées et en permettant une différenciation des règles en matière de chômage, de maladie de longue durée et d’aide sociale, chaque entité apporte sa contribution à l’augmentation du taux d’emploi en Belgique."

Quand un médecin rédige un certificat médical, il pourrait dorénavant indiquer les tâches que le travailleur malade peut exécuter ou ne pas exécuter.

 

Un chapitre de la note portant sur la modernisation du droit du travail décoiffe pas mal. Le principe général de l’interdiction du travail du dimanche, du travail de nuit et les jours fériés est supprimé. L’objectif est aussi de faire démarrer le travail de nuit à minuit (contre 20h00 actuellement). Enfin, un point concerne le prêt de personnel. Un système "d’emplois-rebonds" permettra à un travailleur de travailler temporairement chez un autre employeur, tout en gardant son contrat de travail initial.

Un point – parmi d’autres – risque de provoquer pas mal de remous. La note prévoit, en effet, de limiter l’indemnité de licenciement à un maximum de 52 semaines. Il pourrait également être question de raccourcir les délais prévus lors de l’application de la loi Renault (licenciements collectifs) et de réintroduire le jour de carence, soit un jour non payé en cas de courte incapacité de travail sans certificat médical.

À propos de certificat médical, la note de Bart De Wever met l’accent sur le renforcement des contrôles des travailleurs absents pour cause de maladie, tout comme elle introduit la notion de "certificat d’aptitude". Quand un médecin rédige un certificat médical, il pourrait dorénavant indiquer les tâches que le travailleur malade peut exécuter ou ne pas exécuter.

Enfin, dans un chapitre consacré aux travailleurs, un point risque de faire bondir les syndicats. Dans l’objectif d’augmenter la transparence du financement des organisations syndicales, Bart De Wever envisage de doter les syndicats de la personnalité juridique. Ce débat, vieux comme le monde, vise notamment à responsabiliser les syndicats devant la loi et permettrait de les poursuivre en justice. Par le passé, cette exigence a déjà été relayée entre autres par la Fédération des Entreprises de Belgique (FEB).  Enfin, les négociateurs voudraient que les syndicats soient obligés de publier leurs comptes annuels.

Pensions

L’objectif de la réforme structurelle qui est envisagée est de garantir à chacun niveau de sécurité financière de base, grâce à une pension légale et une pension complémentaire renforcées. En toile de fond, il s’agit de mieux récompenser le travail, en renforcement le lien entre les prestations professionnelles et la constitution des droits à la pension. Le tout en poursuivant l’harmonisation entre les différents régimes, par souci d’équité et de cohérence. La note souligne que les changements seront implémentés progressivement, dans le respect des droits acquis. Petit inventaire (non exhaustif):

Alors que la pension minimum a été revalorisée, la condition de carrière pour y accéder est relevée graduellement à partir de 2025, afin d’atteindre à terme 35 ans. Dès lors, des moyens supplémentaires pourront désormais être affectés aux pensions moyennes et aux personnes qui ont effectivement travaillé.

Le montant de la pension est diminué d’un malus par année d’anticipation avant l’âge légal si la condition de carrière est remplie, mais pas les 35 années de travail effectives. Le montant de la pension est majoré d’un bonus par année après l’âge légal si le retraité comptabilise 35 années de carrière avec des prestations effectives.

Certaines périodes assimilées telles que la préretraite (RCC), le chômage de longue durée et l’emploi d’insertion, ne le seront plus à l'avenir.

La pension de ménage est vouée à disparaître à terme, et logiquement dans son sillage, la pension de divorcé. "Le partage des pensions devra donc idéalement être prévu dans le contrat de mariage en cas de divorce/séparation".

La pension de survie, qualifiée de piège à l’emploi et à la pauvreté, sera remplacée durant une période transitoire, jusqu’à l’âge le plus précoce possible de la pension du partenaire survivant, par l’allocation de transition, librement cumulable et limitée dans le temps (deux ans max.)

L'idée d'une pension complémentaire pour tous (contractuels du secteur public inclus), avec une contribution patronale d’au moins 3%, est réaffirmée.

Les retraités qui souhaitent travailler après une carrière complète (45 ans) ou après l’âge légal de la pension paieront une cotisation libératoire de 20% max sur ces revenus.

Dans le cadre de l’harmonisation des régimes, la note touche surtout aux spécificités des fonctionnaires. Elle prévoit le relèvement de l’âge de la pension pour les catégories privilégiées, la disparition progressive des régimes préférentiels et la fin de la pension de maladie des statutaires. Dès le 1ᵉʳ janvier 2025, le calcul de la pension des fonctionnaires sera effectué sur la base des 20 dernières années (au lieu de 10), et cette période de référence sera ensuite relevée d’un an chaque année pour atteindre 45 ans à partir de 2045. La péréquation de la pension dans la fonction publique, qui a déjà été limitée, sera supprimée.

 

Le questionnaire médical ne doit plus conduire à une assurance solde restant dû plus coûteuse.

 

Le prime de fidélité et le taux de base des comptes d’épargne sont ramenés à un taux unifié, tandis qu’un taux d’intérêt minimum sur l’épargne sera introduit lorsque les épargnants perçoivent des taux d’intérêt structurellement inférieurs à ceux perçus par les épargnants de pays voisins.

Pour plus de mobilité, la portabilité des numéros de compte est mise en œuvre. Il est prévu que le contrat de vente d'un bien immobilier soit automatiquement assorti d’une condition suspensive jusqu’à l’obtention du crédit hypothécaire. Par ailleurs, les banques doivent davantage prendre leurs responsabilités dans la lutte contre le phishing et autres formes de fraude bancaire en ligne. Par exemple, l'application de la notion de "négligence grave" dans le chef du consommateur doit tenir compte de la professionnalisation croissante des fraudeurs.

Assurance

Un contrat type comportant des clauses contractuelles légales minimales est prévu pour les polices d’assurance les plus importantes. Le questionnaire médical ne doit plus conduire à une assurance solde restant dû plus coûteuse.

Énergie

Les factures d’énergie doivent devenir plus transparentes et comparables entre elles. Dans le cas d’un contrat variable, les fournisseurs doivent proposer une révision à la baisse des acomptes en cas de diminution substantielle du prix de l’énergie.

De plus, le délai de prescription pour les factures d'énergie sera porté à deux ans et le délai d'établissement et d'envoi des décomptes annuels, des factures rectificatives ou des factures finales sera limité à un maximum de 12 mois à compter de la date à laquelle le fournisseur d'énergie a reçu le relevé de compteur (rectifié) du gestionnaire de réseau de distribution.

Télécoms

En cas de perturbation des services télécoms, le montant de l’indemnisation sera déterminé en tenant compte du préjudice subi par le client, y compris, par exemple, les frais de déplacement ou l’impossibilité d’utiliser d’autres services connexes (comme le streaming).

 

divers :

 

Afin de renforcer la protection des consommateurs, un cadre juridique sera développé pour les "influenceurs". En outre, pour certains produits (les appareils électriques et ménagers), la période de garantie légale passe à trois ans.

L'intention est également de renforcer la concurrence dans le secteur du notariat (réforme des tarifs légaux), des huissiers de justice (modernisation des frais réglementaires et transparence des coûts) et des agents immobiliers (publication en ligne de leurs tarifs).

 

 

 

LA REACTION DE LA FGTB

Agence Belga ) Réaction de la FGTB (Thierry Bodson)

Pour la FGTB, la note socio-économique de l'ex-formateur Bart De Wever (N-VA), finalement rejetée, préparait "la plus grande régression sociale depuis 80 ans".

"Est-ce exagéré? Quand on regarde les mesures qui étaient prévues sur les conditions de travail, il s'agissait d'une régression incroyable", estime Thierry Bodson mardi, dans une réaction à Belga. Et le président du syndicat socialiste de citer: la fin dans tous les secteurs de l'interdiction (sauf dérogation) du travail de nuit et du travail les dimanches et jours fériés, ou encore la fin de la durée minimum de travail de 2 heures par jour. "Le repos hebdomadaire obligatoire, c'est un acquis depuis le début de la concertation sociale telle qu'on la connaît depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. En outre, on casserait cette concertation sociale telle que créée en 1945", ajoute M. Bodson. Concrètement, une entreprise aurait pu déroger aux accords conclus en commission paritaire et les branches auraient pu aussi déroger à l'Accord Interprofessionnel (AIP).

Pour Thierry Bodson, un telle "casse" ne serait même pas à l'avantage des employeurs qui seraient confrontés à du "n'importe quoi dans certains secteurs" avec l'instauration d'une "concurrence déloyale et débridée".

Pour la FGTB, la note socio-économique de Bart de Wever était "en dehors des réalités", avec notamment l'intention de procéder à l'extinction progressive des régimes de fins de carrière et de prépensions, alors que de nombreux secteurs sont confrontés à des restructurations.

La note a finalement été rejetée par le MR, principalement sur le projet d'instaurer une taxe sur les plus-values. Pour la FGTB, cette mesure est un "écran de fumée" qui cache "des reculs beaucoup plus importants."

À ce stade, le syndicat socialiste entend "informer" et "sensibiliser", mais compte bien "réagir", vraisemblablement après les élections communales, si les négociations reprennent sur cette même base.

Date de dernière mise à jour : 27/08/2024

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