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  • 18 février 2024 ULB

    Annemie Schaus épingle la Vivaldi après avoir dû faire appel aux autorités pour évacuer de nombreux demandeurs d’asile du campus du Solbosch vendredi 16 février.

    Annemie Schaus épingle la Vivaldi après avoir dû faire appel aux autorités pour évacuer de nombreux demandeurs d’asile du campus du Solbosch vendredi 16 février.© Photo News (montage «Le Soir»).

    Monsieur le Premier ministre, Mesdames et Messieurs les Vice-premiers ministres, ministres et secrétaires d’Etat du gouvernement fédéral,

    Je vous sais très occupés, mais vous avez certainement lu dans la presse de ce qui s’est passé ce vendredi 16 février sur le campus du Solbosch de l’Université libre de Bruxelles : plus d’une centaine de demandeurs d’asile et membres du collectif « Stop crise accueil » ont décidé d’occuper unilatéralement un bâtiment de l’université.

    Oui, encore ces demandeurs d’asile… Ceux – je mets le masculin à dessein, car ce sont pour la plupart des hommes seuls – sur le sort desquels votre gouvernement a choisi de fermer les yeux, sous le prétexte qu’il n’y aurait pas assez de place pour les accueillir. Ceux que votre gouvernement maintient encore et toujours dans la rue malgré l’arrêt en référé du Conseil d’Etat qui vous ordonnait de suspendre immédiatement cette décision contraire à la loi.

    Vous qui siégez rue de la Loi, vous souvenez-vous de ce que signifie le nom de cette artère ? Une artère vitale pour la démocratie… La Loi que vous vous êtes solennellement engagés à défendre, ainsi que la Constitution et les principes démocratiques.

    Dans quels pays voit-on un gouvernement s’asseoir sur ces principes ? Nier des milliers de décisions de justice qui vous rappellent vos obligations européennes et internationales ? Rester sourd aux appels de centaines d’académiques et de milliers de citoyennes et de citoyens qui se voient contraints d’assumer les responsabilités d’un Etat déficient ?

    En 2018, au parc Maximilien, des militants d’extrême droite sont venus provoquer les personnes qui défendaient les droits des migrants : « Si vous les aimez tant, ces migrants, accueillez-les chez vous ! » Ils avaient même publié des adresses privées, les avaient distribuées aux migrants en leur disant d’aller sonner à la porte de ces « belles âmes » pour voir si elles avaient le courage de leurs convictions. En fait, votre gouvernement ne se comporte pas autrement. En plus insidieux. Vous n’obéissez pas à la loi et, ce faisant, vous poussez les demandeurs d’asile et les associations qui les défendent de venir frapper à la porte, voire à la forcer, auprès de ceux qui ont à cœur de faire ce qu’il est possible pour les aider.

    L’ULB est en première ligne, de ce point de vue : au cœur de Bruxelles, animée par des valeurs qui devraient être les vôtres, notre université a, à plusieurs reprises, accueilli des centaines de demandeurs d’asile et leur a offert des soins et des services – toutes choses que, normalement, l’Etat doit assumer. Je rougis de devoir écrire une telle évidence : vous vous plaignez du manque de moyens dont vous souffrez… pensez-vous sérieusement que l’ULB est plus riche que l’Etat que vous gouvernez ? Mieux outillée ? Plus compétente ?

    Je suis outrée et blessée au plus profond de moi d’avoir dû, vendredi, appeler les autorités communales et la police pour libérer des bâtiments et les rendre à leur fonction première. « Le jour où le crime se pare des dépouilles de l’innocence, écrit Camus dans L’Homme révolté, par un curieux renversement qui est propre à notre temps, c’est l’innocence qui est sommée de fournir ses justifications. » En ne respectant pas les lois dont il doit être le garant, votre gouvernement est criminel. C’est la définition du crime : enfreindre la loi. Vous l’enfreignez tous les jours, et je dois, en tant que rectrice de l’ULB, aujourd’hui, me justifier. Expliquer à ma communauté, à ma fille, pourquoi j’ai dû faire évacuer des gens en détresse, alors que je me bats depuis toujours pour défendre leurs droits.

    L’extrême droite, par son talent à détourner le langage, a déjà réussi à faire des bénévoles qui se battent pour les migrants des « collaborateurs », et de ceux qui voudraient les refouler dans la mer des « résistants ». Vous lui prêtez main-forte, très forte. C’est l’ULB qu’on accuse aujourd’hui d’inhumanité, alors que la seule responsabilité incombe à votre gouvernement. Mais bien sûr, il ne serait pas possible pour les personnes que nous avons dû faire évacuer hier d’aller forcer les portes de celles et ceux qui soutiennent cette politique hors-la-loi.

    Monsieur le Premier ministre, Mesdames et Messieurs les membres du gouvernement, je sais que gouverner est difficile et que les urgences sont multiples, infinies presque. Mais votre gouvernement a mieux à faire que de donner des gages aux franges les plus extrémistes et nationalistes de notre pays. Relisez Montesquieu et quelques autres. Pensez un instant à Robert Badinter qui disait : « Le droit d’asile est l’honneur de la République ; quand elle manque au droit d’asile, elle se déshonore. » Et ne me répondez pas que nous ne sommes pas une République…

    Demain, avec toute la communauté universitaire, nous réfléchirons et trouverons les moyens d’aider au mieux les demandeurs d’asile, en attendant que vous respectiez vos obligations légales.